Congo-Brazzaville : Madingou, tête de pont de la Bouenza

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Les premières pluies ont apporté un peu de fraîcheur au chef-lieu du département de la Bouenza. Tant mieux. Car, moins d’un mois plus tôt, la ville suffoquait. Et pour cause. Madingou ne compte quasiment aucun kilomètre de voies bitumées alors qu’elle est traversée chaque jour par une floppée de camions et de « coasters » venant de Brazzaville, la capitale, ou de Pointe-Noire, la ville océane, qui, en saison sèche, pulvérisent sur chaque feuille d’arbre, sur chaque maison et sur chaque habitant de la cité, un nuage de poussière ocre nauséabond.

Les premiers kilomètres de goudron, ça sera pour 2016 quand le dernier volet du programme de municipalisation accélérée sera mis en œuvre dans le département de la Bouenza, bouclant ainsi un long cycle de travaux de modernisation et d’équipement de l’intérieur du pays, engagé en 2004. En attendant la manne de 2016, Madingou table, avec impatience, sur les pluies. « On préfère encore la boue à cette poussière irrespirable. En outre, c’est bon pour l’agriculture », souligne cet habitant.

Malgré son manteau rouge cendre en saison sèche ou ses rues boueuses en saison des pluies, et la rareté des voies bitumées, la petite cité a du charme. Du moins Madingou Poste, qui abrite la zone administrative – un endroit calme et ombragé – ainsi que les maisons chic du quartier « Capable ». Celui des nantis, l’un des trois quartiers lotis de la commune urbaine sur les 10 dont celle-ci dispose. Plus populaire et commerçante, Madingou Gare, pour sa part, située cinq kilomètres plus au sud, est née de la construction du chemin de fer Congo Océan (CFCO).

Le maire de la ville, Hortense Julienne Ganvouli, a fait aménager, à Madingou Poste, la place de la République en l’ornant d’un monument figurant les cartes de la Bouenza et du Congo, et en la bordant de 12 bancs, chacun portant le nom d’un département du pays. Un lieu où il fait bon s’asseoir en fin de journée, quand le soleil décline. Madame le Maire compte bien défendre sa jolie placette et protéger les arbres de la zone administrative des fourches caudines de la municipalisation accélérée et des marteaux piqueurs des sociétés de BTP (bâtiment et travaux publics) qui ont tendance à faire table rase du passé, sous prétexte de modernisation. Elle n’est pas la seule. « Nous sommes fiers de nos arbres et de nos édifices coloniaux. S’il faut construire une nouvelle cité administrative, mieux vaudrait l’édifier entre Madingou Gare et Madingou Poste, là où le terrain est disponible », martèle Julien, un professeur de maths à la retraite. C’est dans cette zone que seront d’ailleurs logés le stade et l’hôpital général dont les travaux de construction ont déjà démarré.

Bordée au sud, par la voie ferrée du CFCO et, au nord, par la RN 1, qui relie Pointe-Noire à Brazzaville, Madingou est un carrefour routier et ferroviaire. Bien que le tronçon Dolisie-Nkayi-Madingou-Bouensa-Loutété de la RN1 ne soit pas encore opérationnel, faute d’être totalement goudronné, le trafic, qui passe par l’ancienne route en terre, s’est intensifié entre le chef-lieu de la Bouenza et Pointe-Noire. « Les denrées agricoles du département sont de plus en plus évacuées vers Pointe Noire d’où nous parviennent également davantage de produits manufacturés. De plus, les véhicules qui viennent du port maritime font escale dans notre cité le soir », informe le maire. De quoi stimuler le commerce local et le tourisme d’affaires de la ville qui compte une quinzaine d’établissements hôteliers.

Si Madingou, qui abrite quelque 20.000 habitants, ne connaît pas de problème d’électricité puisqu’elle est alimentée par le barrage hydroélectrique de Moukoukoulou, situé dans le nord-est dans le département, en revanche, l’eau y est distribuée au compte-gouttes. Soit deux fois par jour. La raison ? La vétusté de l’usine de la Société nationale de distribution d’eau alimentée par les eaux du fleuve Niari. Mais cela devrait s’améliorer, grâce à « la construction d’une nouvelle usine et à l’extension du circuit de distribution qui seront réalisées dans le cadre des travaux de la municipalisation accélérée », explique le maire. Autre problème, l’assainissement. « Nous manquons de caniveaux et nous ne disposons pas d’unité de traitement des ordures ménagères. Les habitants brûlent eux-mêmes leurs ordures », confie Hortense.

Outre les services administratifs et le commerce, Madingou vit du trafic ferroviaire, des activités de la société de BTP chinoise qui réalise la RN1 et dont la base vie est installée à l’entrée de la ville, du transport routier, du maraîchage, de l’artisanat utilitaire. Et de l’Unité de broyage de calcaire (UBC), une filiale de la Société Agricole de Raffinage Industriel du Sucre (Saris) Congo, qui, elle, opère à Nkayi, la grande rivale de Madingou. Avec ses 12.000 hectares de canne à sucre et son usine qui produit environ 70.000 tonnes de sucre par an, ses agences bancaires, son petit supermarché et ses nombreuses boutiques, la trépidante Nkayi fait, en effet, de l’ombre au chef-lieu du département. Et si elle n’est qu’au second rang dans la hiérarchie urbaine de la Bouenza, elle n’en est pas moins numéro un sur bien d’autres plans. « Elle aurait pu être le chef-lieu de département », insiste cet habitant de Nkayi. Reste que l’activité de la deuxième ville de la Bouenza n’est plus aussi diversifiée qu’autrefois. Jadis, la Saris y formait, avec l’huilerie de Kayes, un bourg voisin, et la Minoterie du Congo un vaste complexe industriel, qui faisait travailler, dès l’époque coloniale, des populations venues des quatre coins du pays et même de la RD Congo voisine. Aujourd’hui, Huilka ne fonctionne plus et la Minoterie du Congo n’est plus qu’un simple entrepôt.

Nkayi n’était pas la seule ville melting-pot de la Bouenza, qui dispose d’une frontière avec l’Angola (Cabinda) et la RD Congo. Porte d’entrée du département en venant de Pointe-Noire, de Dolisie (Niari) et de Sibiti (Lékoumou), la ville de Loudima abrite le Centre de recherches agronomiques de Loudima (CRAL), dont l’ancêtre était la station expérimentale de Loudima, créée par les Français en 1935 et renommée CRAL dans les années 1980. Depuis des décennies, Loudima accueille donc des chercheurs issus de régions et de pays différents.

Si Madingou n’a pas cette réputation de ville cosmopolite, elle n’en est pas moins à la tête d’une région considérée comme le grenier agricole du Congo, dont les pôles sont situés dans la vallée du Niari et autour des centres urbains de Boko-Songho, Kimongo ou Mouyondzi,. C’est aussi une zone d’élevage bovin et de pêche. On y trouve notamment les célèbres missalas (crevettes) d’eau douce, abondantes dans le fleuve Niari. Au fil des ans, cette vocation agro-pastorale et halieutique s’est pourtant rétrécie comme une peau de chagrin. Au grand dam des ressortissants du département, qui, depuis cinq ans, organisent, à Madingou, avec la diaspora et l’Association congolaise d’initiatives économiques et locales (Aciel), une Foire du terroir, destinée à présenter les produits du cru. « Nous voulons recréer les conditions des années 70 quand le département était à son apogée en matière agro-pastorale », insiste Nadège Mabicka, responsable du comité d’organisation de la Foire.

L’ouverture de la RN1 entre Dolisie et Pointe-Noire devrait contribuer à la relance de la Bouenza, en dynamisant la production agricole départementale (manioc, maïs, arachides, bananes, agrumes, safous, etc.), même si, parmi la paysannerie locale, une modernisation des techniques culturales s’impose. Néanmoins, le maraîchage y est florissant, en particulier à Nkayi, et quelques projets agro-industriels, menés notamment par des étrangers, devraient permettre également de redorer le blason agro-pastoral de la Bouenza. Ainsi la société brésilienne Asperbras qui a obtenu près de Loudima une concession de 52.000 hectares, se lance dans la culture de la canne à sucre (sucre et carburant) et l’élevage de quelque 2000 têtes de bœufs tandis que la société espagnole Tolona compte produire du maïs et de la tomate. La Bouenza comprend aussi la ferme communautaire de production agricole de l’ONG américaine International partnership for human development (IPHD), qui opère en partenariat avec l’État congolais. L’ONG, qui cultive du maïs et du soja, met à disposition des paysans son savoir-faire et du matériel agricole. Quelques fermes privées concourent également à la redynamisation agricole du département.

La Bouenza dispose également d’un potentiel industriel et minier certain. Outre la centrale hydroélectrique de Moukoukoulou, qui alimente plusieurs départements du sud du pays, elle abrite l’UBC, dont le calcaire, très abondant dans la région, est utilisé dans l’agriculture, pour lutter contre l’acidité des sols, ainsi que dans le BTP, l’élevage et la fabrication de verre. Elle compte également une cimenterie à Loutété, la Société nouvelle des ciments du Congo (SONOCC), à capitaux chinois. Sans compter les nombreux ateliers artisanaux qui fabriquent des briques en argile. Le Nigérian Dangote pourrait ouvrir une nouvelle cimenterie près de Mouyondzi. Quant à la Société de recherche et d’exploitation minière (Soremi), un partenariat entre l’Américain Gerald Metals et China national Gold Group Corporation, elle s’active dans la recherche de polymétaux et de cuivre dans les zones de Boko-Songho et de Mfouati.

Reste que le développement de la Bouenza est conditionné à la résolution de quatre goulots d’étranglement : la formation de la main d’oeuvre, la santé, le financement des activités et le manque de routes. Si Nkayi compte au moins une agence bancaire, en revanche Madingou n’en dispose pas. Seuls les établissements de micro-crédit, dont les Mucodec, y sont opérationnels. Quant aux routes, elles manquent encore cruellement. Tous les opérateurs économiques misent donc sur la finalisation du bitumage de la RN1 entre Dolisie et Brazzaville, qui tarde, et qui ouvrirait de nouveaux débouchés dans la capitale congolaise. Et sur celui de la route d’intérêt sous-régional qui reliera le Gabon, via Dolisie, à l’Angola et la RD Congo, via Kimongo et Londela-Kayes.

Bien évidemment, les chantiers de la municipalisation accélérée et ceux d’intérêt national lancés dans la Bouenza apporteront un début de réponses positives à ces problèmes. À condition de mettre le paquet sur les infrastructures socio-économiques. « Avons nous réellement besoin d’un palais présidentiel ? », s’interroge Alain, un fonctionnaire de Madingou. En tout cas, l’option de réaliser un aéroport à Nkayi plutôt qu’à Madingou et la construction, en cours, d’une nouvelle usine de traitement d’eau à Nkayi, sont bien perçues par la population.

Reste à renforcer le système éducatif et bancaire local. Et à rétablir des rapports de bon voisinage avec la RD Congo voisine. Des rapports malmenés par la récente opération Mbata ya Ba Kolo, menée par la police du Congo- Brazzaville, qui s’est traduite par le départ forcé de nombreux RD Congolais, sans que ces derniers aient eu réellement le temps de régulariser leur situation. Pourtant, dans le passé, la tradition cosmopolite de la Bouenza a eu un impact positif sur son développement par l’apport d’autres techniques, savoir-faire et modes de pensée qui ont enrichi la culture locale. En outre, les marchés RD congolais et angolais voisins représentent des opportunités réelles à l’export comme à l’import pour le département. Des traditions et des occasions à ne pas brader. La rebelle et fière Bouenza le vaut bien.|Muriel Devey Malu-Malu (AEM), envoyée spéciale à Madingou, Congo

 

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