Botowamungu Kalome: « J’ai vu Papa Wemba abandonner son cachet et rentrer chez lui heureux »

Chanteur à succès, Papa Wemba s’est éteint dimanche 24 avril à Abidjan. Ce monument de la musique africaine s’est écroulé en plein concert et les médecins ont constaté son décès quelques temps après dans un hôpital de la capitale ivoirienne. L’artiste aura marqué plusieurs générations par son œuvre qui a eu un écho favorable sur les cinq continents. Dans la série d’hommages à l’artiste, Radio Okapi reçoit Michel Botowamungu Kalome. Journaliste, ancien d’Elima, cofondateur de l’Association de Chroniqueurs de Musique du Congo (ACMC) et rédacteur en chef d’Afriqu’Échos. Il est également animateur de l’émission Chemins d’Afrique sur radio Jet FM à Nantes, en France. Il témoigne de l’amour de Papa Wemba pour son art.

Lorsque vous avez appris la mort de Papa Wemba, vous vous êtes dit que la musique congolaise a perdu quoi ?

Je pense que nous avons perdu l’un des plus grands, peut-être le dernier plus grand interprète de la chanson congolaise qui nous restait. En tant que chanteur, il était l’un des plus doués qui pouvait évoluer sur des registres différents et donner entière satisfaction.

Le clan Zaiko est quelque peu orphelin avec cette disparition ?

Non pas du tout. Il y a encore Evoloko, Mavuela Somo, Gina Efonge, Bozi Boziana qui sont en vie mais on a le sentiment qu’il ne reste plus que Nyoka Longo parce qu’il y a lui et Papa Wemba qui ont su, pendant des décennies, continuer à mener activement avec brio leur carrière. Nyoka Longo arrive à préserver le patrimoine Zaïko avec tout ce que cela représente en termes de discographie, de créativité. Papa Wemba, lui, continuait à s’adapter, à évoluer sur plusieurs registres dans le monde entier.

Papa Wemba, c’est près de 50 ans de carrière. À votre avis, un artiste doit faire quoi pour avoir une telle longévité sur scène ?

L’amour de son art. Ce fut un artiste jusqu’à la moelle épinière. Même dans sa vie privée, il s’est toujours comporté en artiste. Sa passion pour cet art, je crois que c’est ce qui explique sa longévité. Il dégageait de la chaleur, de la passion et de l’amour pour son art. Lorsque tu entends quelqu’un dire qu’il pensait qu’il allait mourir sur scène comme Molière, ça donne une image sur le personnage et l’idée qu’il se faisait de son métier.

Est-ce que Papa Wemba a exercé une influence sur la musique congolaise ?

Je ne pense pas que Papa Wemba ait influencé la musique congolaise en apportant une innovation. En revanche, il a porté la musique congolaise sur des hauteurs inespérées de par sa capacité à interpréter des auteurs différents et à pouvoir chanter sur plusieurs styles. Géographiquement, on peut considérer qu’il a également porté loin notre musique. Il a donné à notre musique une résonnance internationale qu’elle n’aurait peut-être pas eue sans lui.

Papa Wemba, c’est quel héritage pour les générations futures ?

Encore qu’il faille que les jeunes considèrent qu’il a laissé un héritage. Quand on regarde les jeunes aujourd’hui comme Fally, Ferre,…je n’ai pas le sentiment qu’ils puisent assez dans le riche patrimoine musical congolais pour tirer ce qui est bien, les points forts. Les générations futures, cela dépendra d’eux. Ce qu’elles peuvent bien prendre chez Papa Wemba c’est surtout l’amour de l’art. C’est un musicien qui prenait plaisir à être sur scène. Il jouait devant un public composé d’une dizaine de personnes avec la même discipline et le même entrain que devant des milliers de spectateurs. Je l’ai vu plus d’une fois abandonner son cachet lorsqu’il estimait qu’un producteur n’était pas rentré dans ses frais. Il repartait heureux d’avoir donné du plaisir à son public.

Du jeune artiste en herbe dans l’un des quartiers défavorisés de la capitale de la RDC à la star mondiale qu’il était devenu, peut-on dire que Papa Wemba c’est aussi le symbole de la réussite sociale ?

La réussite sociale n’était pas une fixation pour lui. Il y a une sorte de filiation dans la musique congolaise. Il y a eu Wendo, Grand Kallé, Tabu Ley et Papa Wemba. Lorsqu’on regarde ces quatre artistes, c’est à peu près le même parcours. C’était des flambeurs, des hommes à femmes qui ont remporté beaucoup de succès dans leur art mais l’aisance matérielle n’a pas toujours suivi. Mais Papa Wemba était quelqu’un de très généreux qui n’hésitait pas à venir en aide aux personnes de son entourage.

Papa Wemba, c’est aussi la sape (société d’ambianceurs et de personnes élégantes). Était l’initiateur ou la figure la plus emblématique de ce mouvement ?

Il en était la figure la plus emblématique, la mascotte de ce mouvement. De Kinshasa, il ne pouvait pas le lancer. C’est un mouvement qui a été lancé ici en Europe par des compatriotes et des Africains qui gagnaient leur vie plus facilement que les personnes restées au pays. Papa Wemba était leur icône. Ils se sont servis de son nom pour lancer ce mouvement. Mais ce mouvement a connu ses dérives plus tard. On a fini par donner la primauté, non plus à l’élégance, mais aux habits « griffés » et aux prix des vêtements. Même lorsqu’il a arrêté de parler de la sape, il a gardé son élégance vestimentaire.

La chanson de Papa Wemba que tu écoutes en boucle, inlassablement depuis sa disparition. C’est laquelle ?

Si je cite une seule chanson, cela pourrait vouloir dire qu’il n’a pas été aussi excellent qu’on le dit aujourd’hui. Si je prends le titre « Examen d’État » de Lutumba, Papa Wemba l’a interprétée avec une telle émotion, une telle justesse. Il y a aussi « Maman » par exemple. Le duo avec Koffi Olomide a été fabuleux. Il est aussi l’un des rares qui, au sommet de son art, a quitté son groupe pour aller apprendre dans Afrisa auprès de Tabu Ley. Il faut avoir une grandeur d’esprit pour le faire.|AEM /Source: Radio Okapi