Bwanga Tshimen (Ballon d’or) : « Paul Gibson Munkuta et Mbuyi ‘Athénée’ sont deux personnages clés de l’histoire du TP Mazembe »

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Le TP Mazembe|Photo d'archives

L’on voudrait bien s’accommoder au dicton « Nul n’est prophète chez lui » mais tout de même : seul Ballon d’or africain de la RDC, champion d’Afrique avec le TP Mazembe et les Léopards, mondialiste, le nom de Bwanga Tshimen est totalement absent du site officiel de ce club même quand celui-ci dresse une liste de 8 « anciennes gloires ». Le Ballon d’or ne s’en formalise pas, n’en nourrit la moindre aigreur, mais insiste sur l’importance de transmettre amplement l’histoire de son club : « Mbuyi Athénée, vous connaissez ? C’était l’artisan des premiers titres du TP Mazembe, c’était le maître à jouer. Il est décédé dernièrement et je l’ai appris plus de deux semaines après, comment est-ce possible ? ». Sur ces mots,  l’ancien international s’affale sur le dossier de sa chaise, pris de tristesse, les yeux embués :  « Je vais peut-être mourir aussi dans la même indifférence. On parlait de Kalala, mais quand Mazembe remporte ses premiers titres, il est souvent absent car régulièrement appelé en équipe nationale et c’est Mbuyi Athénée qui portait l’équipe. L’opinion doit le savoir et les joueurs actuels auraient dû le connaître… ».

Du FC Saint-Georges créé en 1939 par des missionnaires bénédictins jusqu’au Tout Puissant Mazembe ramené sur les cimes par Moïse Katumbi, en passant par l’épopée du Tout Puissant Englebert, ce club est le plus beau fleuron du sport congolais avec un des tout meilleurs palmarès africain. Dans un contexte national de décrépitude politique, sociale, culturelle et économique, le club dispose de son stade, d’un centre de formation et même d’un avion privé. Un des acteurs importants des premières grandes victoires, Bwanga Tshimen rappelle certains grands épisodes mais aussi des menues anecdotes très éclairantes : « Aucun de mes enfants ne m’a vu jouer, eux comme mes petits-fils, c’est vous qui devez leur raconter qui j’ai été et comment Mazembe a bâti sa notoriété. »

Pour Bwanga, le TP Mazembe avait basculé dans une autre dimension et entamé ses conquêtes grâce à un homme : « À l’époque, le championnat au Katanga était dominé par Saint-Eloi qui gagnait tout et Englebert était l’éternel second avec un effectif composé des mêmes joueurs plutôt âgés. En 1963, tout va basculer : le président Paul Gibson Munkuta décide de rajeunir l’effectif et c’est la première fois que j’ai entendu le mot « rajeunir » (Rires). Les juniors ont alors remplacé la majorité des anciens. J’y suis allé plus tard et quand je suis arrivé, il y avait carence des défenseurs, on m’a testé au poste de stoppeur et j’y suis resté toute ma carrière. ».

En 1964, des renforts notoires vont arriver de Kolwezi notamment l’ailier Tshinabu et le gardien Kalambayi, mais sur un autre plan, l’équipe perdit Moïse Tshombe un de ses importants soutiens financiers parti  en exil car mêlé dans les secousses politiques de l’époque. L’année qui suivit, Mazembe put enfin surclasser Saint-Eloi malgré ses talentueux joueurs comme Mutombo Robinson, Ngoie Petro, Pierre Mulele et Kalambay Ngoy qui était devenu l’entraîneur de Vita Club vainqueur de la coupe d’Afrique des clubs champions en 1973. C’était un événement et il y eut une fête grandiose à Lubumbashi.

« En 1966, nous sommes allés à Kinshasa, pour la première fois, jouer contre V. Club. Mais Kibonge impressionnait tellement que pour beaucoup d’entre nous on allait plus jouer contre Kibonge que contre V. Club. C’était un rêve qu’on réalisait »

Ce titre engrangé en appela d’autres : « À l’époque, la coupe du Congo se jouait sur une phase finale qui regroupait les vainqueurs des éliminatoires provinciales. Qualifiés au niveau provincial, nous sommes partis en juin 1966 à Kinshasa affronter notamment le V. Club de Kibonge. Je n’avais que 16 ans et je prenais l’avion pour la première fois et j’avais voyagé en culotte (short) car je ne mettais pas encore de pantalon… (Rires). Des grands joueurs, on en connaissait que ce que la radio nous décrivait à travers les retransmissions des matches en direct. Jeff Kibonge était alors, à nos yeux, un immense joueur, jouer contre lui était un rêve, presqu’un aboutissement en soi. ».

Conscient de la force de Mazembe dont il côtoyait déjà certains joueurs à l’équipe nationale comme Kalala, Katumba, Mukombo et Kazadi, le capitaine véclubien n’a pas joué le premier match se ménageant pour celui contre Mazembe dont le vainqueur allait remporter la coupe. Son club répandit même une rumeur de blessure. Le jour du match quand les deux équipes se présentent sur le terrain et s’alignent pour le protocole d’avant-match, Kibonge n’est pas dans l’effectif. Au tout dernier moment, la star surgit des vestiaires et c’est l’ébullition dans le stade : « Plusieurs d’entre nous deviennent livides, Katumba remarque la panique et nous engueule : ‘C’est du cinéma tout ça, ne vous laissez pas impressionner !’. Au final, nous avons battu V. Club par 2-1 et remporté notre première coupe du Congo ».

Une finale haletante et historique… sans vainqueur contre Kotoko de Kumasi

Après son triomphe aux niveaux provincial et national, le TP Mazembe va s’attaquer avec succès et panache à la coupe d’Afrique des clubs champions deux années d’affilée. Deux victoires face à l’Étoile Filante de Lomé (Togo) et l’Ashanti Kotoko  de Kumasi (Ghana).

Des deux finales remportées, celle jouée contre Kotoko restera la plus haletante et la plus mémorable pour Bwanga : « Plus jamais l’Afrique ne connaîtra une telle finale. À l’aller, au Ghana, nous avions fait match nul un but partout. Au match retour à Kinshasa, Kotoko ouvre le score et nous égalisons très vite, les Ghanéens récidivent et Kalala nous remet à flots. Jusqu’à la fin du temps règlementaire. À la fin de la prolongation, le score n’a pas bougé. À l’époque, les règlements ne prévoyaient pas les tirs au but mais le  tirage au sort pour départager les deux équipes. L’arbitre appelle les deux capitaines au centre du terrain pour procéder au toast. Lorsqu’il jette la pièce en l’air, avant même qu’elle n’atteigne le sol, les deux capitaines sautent de joie revendiquant la victoire, les deux équipes exultent également. Troublé et dépassé, l’arbitre ramasse la pièce et est incapable de désigner l’équipe qui a gagné le toast. Il subit les événements et laisse faire. Le président Mobutu est à la tribune et attend pour procéder à la remise du trophée. Là aussi, les deux capitaines pensent que c’est le vainqueur qui doit se  présenter le premier. Les deux capitaines courent vers la tribune officielle et se bousculent devant les officiels. La CAF va finalement décider de faire rejouer la finale sur terrain neutre mais Kotoko ne se présentera pas permettant à Mazembe de gagner par forfait »

« Jeunes, nous sommes effectivement allés voir les féticheurs… mais c’était pour réussir aux examens scolaires »

À une question sur les pratiques mystiques dans le football, Bwanga Tshimen ne nie pas le phénomène mais en relativise l’étendue et la portée : « Le président Paul Gibson Munkuta ne voulait pas en entendre parler mais harcelé par certains dirigeants qui y croyaient, il leur laissa la liberté de s’y adonner mais sans impliquer les joueurs, il imposa que les joueurs en soient tenus à l’écart »

Et l’ancien joueur de rappeler que la pratique du football, à l’époque, n’enchantait pas particulièrement les parents qui considéraient que c’était une affaire des voyous ou des jeunes qui ont raté leur scolarité : « Notre père nous a punis plusieurs fois pour que nous arrêtions le foot. Les études étaient la priorité absolue pour lui et nous avions une pression énorme. Et la peur d’échouer et donc des représailles paternelles nous ont poussés un jour à aller solliciter les services d’un célèbre féticheur de Saint-Eloi la veille des examens. Le monsieur nous avait gentiment éconduits »

Alors que le football est devenu un métier socialement valorisant et financièrement très intéressant, et bien que ses petits-enfants soient très talentueux, Bwanga n’en prolonge pas moins l’exigence de son père : « Aujourd’hui, quand je vois comment les parents poussent leurs enfants pour réussir dans le foot et relèguent les études au second plan, je suis préoccupé. Les études devraient rester la priorité et le foot… une option secondaire car la réussite y reste très aléatoire ». |Botowamungu Kalome (AEM)

À venir : « Le Ballon d’or » et « Les Léopards notamment la coupe du monde 1974 »