Oncle Bapius : « C’est normal que les jeunes nous remplacent dans Zaïko, je ne reviendrai donc pas … »

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L’apparence n’est toujours pas trompeuse. Oncle Bapius, est comme il paraît sur scène : pondéré, posé. Même quand on aborde des questions qui fâchent comme son exclusion de Zaïko, Bapius se veut philosophe et envisage un avenir partagé avec Jossart Nyoka Longo ainsi qu’avec Zaïko Langa Langa mais sous une forme qui « empêcherait des conflits tout à fait évitables ». Son propos est modéré et le ton monocorde même quand il exprime de la colère. Mwaka, de son vrai nom, devient pourtant volubile dès lors qu’on aborde uniquement la musique sans ses strass, ses paillettes et ses polémiques stériles. Il ne se veut pas donneur de leçons, mais pense que les jeunes bassistes -qu’il trouve tous bons- devraient essayer d’aller plus loin afin de le dépasser, d’effacer ce que lui a créé il y a 38 ans et qui fait toujours école.

AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE (AEM) : Vous avez l’apparence d’une personne calme et posée et pourtant si mes souvenirs de mélomane sont bons, vous aviez été une fois exclu du groupe pour avoir cassé une guitare de colère

ONCLE BAPIUS(OB) : Quand tu t’exprimes pour revendiquer ton dû et que tout le monde fait la sourde oreille, tu n’as pas parfois le choix. C’était en 1976, je réclamais avec insistance de l’argent que l’on me devait et à bout des nerfs j’ai fracassé une guitare. J’étais le seul bassiste du groupe, j’étais sur scène dès 22 heures et je n’arrêtais qu’à 6 heures du matin contrairement aux chanteurs et autres collègues instrumentistes qui soit avec des doublures, soit ne jouaient pas tout le concert qui à l’époque se divisaient en trois parties : les variétés, la musique pop et enfin la musique typique. Même si j’avais raison, tout le monde avait trouvé que mon acte avait atteint un niveau élevé de violence et j’avais été suspendu.

AEM : Effectivement vous êtes resté longtemps seul comme bassiste de Zaïko et pourtant vous aviez été recruté pour jouer la guitare rythmique (accompagnateur) ?

OB : Nous répétions à Kasa-Vubu et le bassiste du groupe Damien qui habitait Gombe (le centre-ville) rechignait à venir à la cité. Comme son absentéisme commençait à handicaper le groupe, Teddy Sukami me proposa de passer à la basse. J’acceptai et l’arrangeur de l’orchestre Gégé Mangaya qui était lui-même bassiste entreprit ma formation à cet instrument. Ensuite, je me suis beaucoup intéressé à différentes sonorités pour m’améliorer. J’écoutais ainsi très attentivement le bassiste Bitshou de l’OK Jazz mais surtout les musiques traditionnelles de différentes tribus et les groupes folkloriques comme les Kintueni du Bas-Congo. J’essayais, en effet, de reproduire ces différentes sonorités.

AEM : Et puis il y eut cette histoire de Meridjo qui devait reproduire les bruits d’un train avec sa batterie et qui donna, avec votre contribution, la base du rythme cavacha qui est aujourd’hui une sorte de matrice de la musique de la RDC, de l’Afrique et même au-delà.

OB : Après ce voyage de Pointe Noire au Congo-Brazzaville, Mama Poto nous avait offert une sono et mis une villa à notre disposition à Kinshasa pour des répétitions. Après cette demande des chanteurs faite à Merdijo pour reproduire les bruits du train à la batterie, nous nous sommes mis tous les deux pour y arriver. Après les répétitions, nous restions tous les deux pendant une heure ou plus pour arriver notamment à synchroniser la grosse caisse et la basse. Quelquefois, nous venions des heures avant les répétitions et nous travaillions tout seuls. Parfois même des jours où il n’y avait pas répétition, on y allait tous les deux. On a travaillé d’arrache-pied comme ça pendant plusieurs mois avant d’y arriver. Dès que nous avions trouvé le bon tempo, la bonne cadence, les bons coups… les autres amis instrumentistes ont complété le boulot, et voilà !

« J’appelle les jeunes bassistes à me dépasser »

AEM : Comment, selon vous, le relais a-til été pris par les jeunes générations ?

OB : Les jeunes bassistes sont tous bons, certains même très bons, mais cela fait 38 ans que tous reproduisent ce que nous avions crée. J’aurais aimé qu’ils aillent au-delà, qu’ils innovent. Mais ils ne sont pas les seuls à blâmer, les chanteurs aussi pourraient être inspirés et suggérer des innovations aux batteurs. Le rythme cavacha, ce sont les chanteurs qui l’avaient inspiré à Meridjo en lui suggérant de reproduire des sons d’apparence anodine.

AEM : Cela fait un sacré souvenir de votre passage dans Zaïko

OB : Ce n’est pas le seul, ni le plus important. J’y ai connu de très fortes amitiés et ça a été, par ailleurs, 30 ans de succès ininterrompu quasiment sans partage, et ça on ne le souligne pas assez. Au-delà de cela, en travaillant dans Zaïko, j’ai réussi à fonder une famille et à élever mes enfants à l’abri de besoins.

AEM : Quelle est aujourd’hui l’actualité de Bapius ?

OB : Je réfléchis, je guette des opportunités et je reste ouvert à de nouvelles aventures. Il faut, en effet, retenir que la réalité sociale et économique fait que la musique ne sera peut-être plus ma seule activité. Je réfléchis.

AEM : Et pourtant avec ce concert du 38ème anniversaire, les fans de Zaïko se sont mis à rêver de votre retour au sein de l’orchestre

OB : Dans la vie, il ne faut pas être égoïste, il faudra que nous acceptions que des jeunes prennent notre place afin d’assurer la relève. Quand j’étais à Kinshasa, Jossart m’avait demandé de recruter et de former un groupe qui soit opérationnel dans la perspective de son retour, je l’avais fait de bon cœur car, où que je sois, je voudrais que Zaïko nous survive et reste toujours au sommet. Ce n’est pas important que j’en fasse partie ou pas, cet orchestre m’a beaucoup apporté et donc mon propre cas passe après sa pérennité.

« Revenir dans Zaïko augmenterait des risques de conflit avec Jossart »

AEM : Et si Jossart se faisait insistant…

OB : Non, j’ai tourné la page. Redevenir membre effectif, travailler au quotidien, faire tous les concerts ne feraient qu’augmenter les risques de conflits liés à la gestion du groupe, de ses finances, de son administration. Je reste cependant disponible pour des collaborations ponctuelles genre concerts événementiels comme celui du 38ème anniversaire, la réalisation des albums, etc.

AEM : Difficile à comprendre pour quelqu’un qui a quitté le groupe contre son gré et qui n’a jamais fait partie de toutes les dissidences qui ont émaillé l’histoire de Zaïko !

OB : Je n’aime pas évoluer dans un milieu où il y a ou il va y avoir des turbulences. Quand certains amis nous quittaient, je savais que c’était soit par orgueil soit parce qu’on leur avait fait miroiter de l’argent. Et puis je n’ai jamais craint pour le groupe, car les instrumentistes ont toujours constitué le socle de l’orchestre et comme l’ossature principale restait fidèle, je n’étais pas réellement tenté d’aller voir ailleurs notamment quand Isifi s’était créé. Mais au dernier moment tous les instrumentistes nous avons été solidaires de Manuaku qui était notamment visé et nous avons relancé le groupe avec Jossart au chant.|Interview réalisée par Botowamungu Kalome(AEM)