King Kester Emeneya : « Le Congo pleure toutes les nuits, mais la journée c’est comme si tout allait bien »

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Dans une allégorie de toute beauté et plein de bon sens, Kester Emeneya évoque, dans cette interview qu’il nous a accordée la semaine dernière, la situation paradoxale de la RDC qui souffre mais qui s’octroie des moments d’insouciance, de gaîté, de fête non feinte comme si de rien n’était… Par ailleurs, quand nous sommes allés le rencontrer à son domicile de Ma Campagne, King Kester n’a pas cherché à dissimuler son ressentiment suite au reportage d’Afriqu’Échos Magazine (AEM) de son concert à l’Olympia au mois de juillet : « L’organisateur avait écoulé 1950 billets pour une salle de 2500 personnes contrairement à ce que vous avez écrit. Cependant, en tant que descendant d’Abraham, je ne suis pas habité par la rancune et les sentiments de bas niveaux qui m’auraient empêché de vous recevoir ». C’est donc dans un climat détendu et amical que Kester a répondu à nos questions en dénonçant les spéculations qui font état de défections dans les rangs de Victoria Eleison. Des rumeurs nées du fait du retour à Kinshasa d’Emeneya sans ses musiciens restés sur le vieux continent.

AFRIQU’ÉCHOS MAGAZINE (AEM) : Les gens s’interrogent sur le fait que vous soyez revenu sans vos musiciens…

KING KESTER EMENEYA (KKE) : Les Congolais, et particulièrement la presse, me déçoivent beaucoup avec leurs spéculations. Il n’y a pas de défection dans les rangs de Victoria Eleison. Nous étions en tournée et on a observé une pause en nous accordant une sorte de vacances que moi j’ai préféré passer au pays.

AEM : Quelles sont les retombées de la tournée euro-américaine de votre orchestre ?

KKE : Notre prestation à l’Olympia de Paris a été un franc succès, contrairement à ce que votre magazine a raconté. Nous nous sommes produits également au Canada à la satisfaction de notre public.

AEM : Quatre mois après ce concert, vos fans réclament le DVD

KKE : Le DVD est sorti à Paris à la fin du mois d’octobre d’après notre producteur Dario Kindongo. À Kinshasa, j’ai ramené quelques séquences de 3 minutes pour les médias.

AEM : Qui aurait financé votre tournée, certaines indiscrétions parlent de Didi Kinuani ?

KKE : C’est le fruit d’un effort personnel.

AEM : La tournée euro-américaine était destinée aussi à promouvoir l’album  Le jour le plus long , mais cet album pourtant de bonne qualité artistique semble avoir du mal à s’imposer

KKE : Au contraire. C’est grâce à cette œuvre que Victoria Eleisson a pu faire sa tournée euro – américaine. À Kinshasa, nous n’avions pas joué les concerts publics sponsorisés pour populariser cette œuvre, néanmoins nous avons réalisé quatre clips et nous comptons en ajouter d’autres.

AEM : Que répondriez-vous à ceux qui vous reprochent la profusion des dédicaces dans les chansons ?

KKE : Ces gens ont raison, je n’ai pas d’autre commentaire.

AEM : Un mot sur votre prochain album ?

KKE : Cet album tiendra compte de certaines remarques, notamment du fait que nos textes sont jugés trop intellectuels. Nous allons essayer de faire des textes compréhensibles et appréciables par le plus grand nombre de mélomanes. Nous n’avons pas encore déterminé le nombre des chansons, mais il ne dépassera pas dix.

AEM : Ne craignez-vous pas de rabaisser votre travail ?

KKE : Mon frère, il y a un problème de fond. Le niveau d’éducation est au rabais, les cours de civisme et de religion sont bafoués. Lorsqu’un élève diplômé en pédagogie ne connaît pas Pavlov comment peut-il comprendre le texte de mes chansons ? À l’époque des chansons comme  Kimpiatu  et autres, le niveau d’instruction et d’éducation était correct. Actuellement le public accepte du bla-bla.

AEM : Cette situation n’est quand même pas irrémédiable ?

KKE : On doit revoir les programmes scolaires notamment en valorisant les cours de religion et de civisme. Aujourd’hui, on fait passer des obscénités pour des valeurs. Les chansons à succès sont étoffées d’obscénités et tout le monde le sait. La musique s’apprenait à l’école et les amoureux de la chanson savaient discerner la bonne de la mauvaise musique. Aujourd’hui, on ne respecte pas, parfois, les normes musicales et ça passe. Le Père de la musique congolaise Kallé Jeff avait la préférence pour la langue française voire pendant les répétitions il s’exprimait en français. Le français a des tournures de respectabilité, de courtoisie et tous ces éléments influaient sur le niveau de notre musique. Mon Maître Rochereau a suivi le même pas. On ne peut pas se passer des faiseurs de notre musique pour perpétuer son prestige.

AEM : Quels thèmes seront exploités dans cet album ? Comptez-vous faire un featuring ?

KKE : Nous allons chanter la vie courante. Quant au featuring, parce qu’il est devenu à la mode, on verra au moment opportun.

AEM : Quel regard avez-vous sur l’actualité musicale à Kinshasa, où les Werrason et autres Koffi, Wazekwa tiennent le haut du pavé ?

KKE : Il n’y a rien de bon. Chacun fait ce qu’il veut.

AEM : Un mot sur la guerre à l’Est du pays ?

KKE : La réponse est dans ma chanson  Congo beau pays dans laquelle je m’interroge : « Pourquoi, Congo, es-tu autant marginalisé, fragilisé, toi qui comptais parmi les grandes nations ? Le Congo pleure toutes les nuits et la journée il vit comme si tout allait bien ». C’est un peu comme nos mamans qui, pendant le deuil, pleurent souvent la nuit pour se calmer aux premières heures de la journée. Qu’on laisse le Congo libre, que le Congo jouisse de son indépendance économique.| Propos recueillis à Kinshasa, RDC, par Paul Kabeya Kapo (AEM)