RDC : l’ambassade de Londres entre crasse et anarchie

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Jeudi 5 mars 2009, une dame anglaise pousse la porte de l’ambassade de la RDC à Londres, mais elle ne la franchira pas et la referme précipitamment. Elle sort son téléphone et prévient son interlocuteur que l’adresse de l’ambassade de la RDC qu’il lui a donnée n’était pas la bonne car elle s’est retrouvée dans un squat. Cette dame était bel et bien à la bonne adresse. Effectivement, cette représentation diplomatique est devenue un squat et nage dans une belle crasse. La réception est confinée dans un couloir lugubre et mal éclairé : une brave dame enceinte y est assise sur une chaise et se sert d’un meuble de fortune comme bureau dans un couloir d’à peine 70 cm de large, avec des murs noircis par la fumée, une boîte électrique déglinguée qui pend au dessus de sa tête. Des passeports des personnes qui demandent un visa pour Kinshasa sont là posés sur le meuble difforme. Juste à côté, dans une pièce vitrée qui servait de réception : valises, casseroles, réchaud, vêtements, lave-vaisselle, machine à laver, un téléviseur allumé… La pièce est salement bondée du mobilier et des appareils électroménagers trop vieux des familles de diplomates qui squattent l’ambassade.
Le mot scandale est faible pour qualifier le décor, car il faut vraiment mettre une sacrée volonté pour salir à ce point l’image d’un pays à travers ce qui est censé en être une belle vitrine. D’ailleurs le même jour, un Congolais qui venait demander un visa a refusé de déposer son passeport : « Vous me prenez pour un imbécile ou quoi ? Une ambassade ne peut pas être dans cet état, ça doit être des trafiquants de papiers qui vivent là ! ». Pas un coin, pas un recoin de l’ambassade n’est pas envahi par les valises, ustensiles, gros sacs, matelas, chaussures, vêtements des diplomates et leurs familles qui squattent le petit immeuble coincé entre un café et une agence de recrutement de travailleurs. Pour y circuler, il faut zigzaguer entre ces colis ou les enjamber difficilement.

Le premier diplomate que je rencontre fait partie des squatters et l’assume même s’il est loin d’en être fier : « L’ambassadeur, Madame Eugénie Tshiela, ne nous a pas laissé le choix. Regardez notre petit bureau, le soir trois collègues dont une dame jettent des matelas par terre et y passent la nuit. Nous étions plusieurs familles hébergées dans l’ancienne résidence de l’ambassadeur qui fuyait partout. À la moindre pluie, c’étaient des seaux d’eau qu’on vidait. Puis, l’électricité a été coupée et l’ambassadeur a refusé de nous reloger au prétexte que sur les six diplomates concernés, trois étaient en fin mission. Mais, en attendant que Kinshasa envoie les frais de leur retour, l’État congolais devait nous loger tous ». D’où l’installation de ces familles à l’ambassade depuis octobre de l’année dernière avec femmes et enfants éparpillés dans Londres chez des compatriotes compatissants.

Quand le mari de l’ambassadeur s’en mêle

Certains diplomates reprochent cependant à leurs collègues de squatter le bâtiment et de « ternir ainsi gravement l’image du pays et la crédibilité de l’ambassade ». Ceci dit, presque tous jugent sévèrement la gestion de l’ambassadeur. Un diplomate nous exhibe une décharge signée conjointement, le 30 avril 2008, par le mari de l’ambassadeur Guy Compton et une employée de l’ambassade. Cette dernière y reconnaît avoir reçu de Guy Compton la somme de 16.512 Livres Sterling représentant les salaires de janvier et février 2008 d’une partie du personnel. Et le diplomate de pointer cette intrusion familiale qui s’apparenterait à du détournement : « Comment l’argent des salaires qui est viré par le ministère des affaires étrangères sur le compte de l’ambassade peut-il transiter en espèces entre les mains d’une personne qui n’a pas qualité de manipuler ou d’avoir sur elle l’argent des salaires des diplomates ? ». La gestion des salaires virés par Kinshasa ne semble pas, en effet, irréprochable : pour ses salaires de juillet, août et septembre 2008, un autre diplomate a reçu de l’ambassadeur , le 17 février 2009, un chèque en bois. Un ambassadeur qui se met à émettre des chèques sans provision, ça fait effectivement désordre.
Le chargé d’affaires a.i. en pompier méthodique

Madame l’ambassadeur partie à Kinshasa, le 19 février 2009, pour des raisons familiales, un chargé d’affaires a.i. assume, depuis, la direction de la représentation diplomatique. Ancien de l’ambassade de Paris, ce diplomate rodé met les bouchées doubles pour remettre l’ambassade dans la normalité. Trois semaines après sa prise de fonctions, il a rétabli la ligne téléphonique coupée depuis seize mois. Et pour mettre un terme au squat, il a déjà mobilisé des fonds qu’il a remis à deux familles installées à l’ambassade pour qu’elles louent un logement. Ce responsable pense que l’ambassade parviendrait à reloger toutes ces familles dans des délais raisonnables. Autre priorité, le chargé d’affaires a.i. envisage la création d’un site internet pour permettre certaines démarches en ligne comme c’est déjà le cas avec l’ambassade de la RDC en France.

La seule inquiétude est que le ministère des affaires étrangères ne se satisfasse de ses solutions d’urgence pour ne pas assumer ses responsabilités notamment celle d’assurer un retour décent au pays des diplomates qui sont en fin de mission. Le ministère de tutelle a trop détourné son regard de la situation indigne de cette ambassade pour qu’il joue encore la carte de l’attentisme, de l’indifférence. Ce n’est pas seulement la crédibilité du pays qui est en jeu, mais également celle des promesses de changement de Joseph Kabila.

Nous reviendrons prochainement sur les péripéties de la vente controversée de l’ancien bâtiment de l’ambassade. |Botowamungu Kalome (AEM), envoyé spécial à Londres

Arrêt sur images: l’ambassade de la RDC à Londres en mars 2009 et février 2010

 

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